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Albin Michel, 5 avril 2004.
Même s'il reconnaît qu'Internet n'est pas un de ses
passe-temps favoris, Jean-Christophe Grangé a parcouru les
pages du site Rivières Pourpres et apprécié
le travail que cela représentait. Il a donc très gentiment
accepté de m'accorder une interview chez Albin Michel.
Troisième Partie de l'interview :
Les projets de Jean-Christophe Grangé
Nicolas - Il s'est écoulé seize mois entre
la parution de L'Empire des Loups et la sortie de La
Ligne Noire, alors que vos précédents romans étaient
espacés de 2, 3 voire 4 ans. Sans parler du temps passé
sur l'adaptation des Loups, ou sur d'autres projets. Vous
avez redoublé de travail ?
Jean-Christophe Grangé - D'abord, il y a un fait
très important : c'est que plus ça va, plus je ne
fais que ça. Longtemps j'ai continué à faire
des reportages ou à écrire pour le cinéma,
donc évidemment j'avais moins de temps pour écrire
mes livres. Maintenant, évidemment, depuis L'Empire des Loups,
je suis auteur à 100% et même psychologiquement, je
m'assume comme auteur. J'ai mis beaucoup de temps à me dire
que je gagnais ma vie avec mes livres. Pour moi, c'était
iréel, fantasmagorique. Je gardais toujours un pied dans
le vrai travail parce que c'était trop fou. Maintenant, je
commence à l'accepter, donc ça veut dire que, vraiment,
je me lève tôt le matin et j'écris toute la
journée.
Il y a une autre chose qui joue aussi, c'est l'expérience,
le « savoir-faire ». J'hésite beaucoup
moins quand j'écris. En fait, la moitié du temps que
je prenais à l'écriture, c'était de l'hésitation,
ou du retour en arrière : je refaisais les chapitres jusqu'à
15 fois. C'est des choses qui arrivent beaucoup moins. Sur L'Empire
des Loups, j'étais beaucoup plus sûr de moi déjà
et sur La Ligne Noire, je n'avais plus de doutes.
Actuellement, j'ai déjà commencé mon nouveau
roman et je file. Je sais ce que je fais et j'hésite beaucoup
moins parce qu'en plus, j'ai un retour de mon public. Je vois qu'ils
ont apprécié telle ou telle chose, sur laquelle j'avais
beaucoup réfléchi. Et finalement, c'était ma
première idée, que j'avais gardée, que le public
avait apprécié, donc je n'ai pas non plus à
me casser la tête.
L'autre élément aussi qui a fait que j'ai été
plus vite sur La Ligne Noire c'est, comme je le disais, qu'il
y a eu beaucoup moins de recherches. Donc finalement, tout est quasiment
né de ma tête et je n'ai pas eu beaucoup de choses
à vérifier.
Le prochain, qui est un polar religieux, comporte quand même
une part de recherches. Et là, je pense que je vais revenir
à une durée de 2 ans, d'abord parce qu'il va être
plus gros. Mais je vois qu'il avance bien, donc peut-être
que ça va aller plus vite que je crois...
La Ligne Noire, j'ai toujours su que ce serait un livre compact,
né quasiment entièrement de ma tête, où
j'irai plus vite. Sur le prochain, je vais remettre deux ans et
sur le suivant aussi je pense.
Mais j'ai toujours l'espoir d'aller plus vite
N.
- Avec un style très cinématographique, c'est tout
naturellement que le cinéma s'est intéressé
à vos romans. A l'époque de Vidocq et des Rivières
Pourpres, le magazine L'Ecran Fantastique (8)
titrait même « un romancier happé par
le cinéma ». Depuis, on a l'impression que vous
vous êtes un peu plus désintéressé du
sujet ? Est-ce le cas ?
J.-C. G. - Quand le cinéma a commencé à
m'appeler, j'étais un chien fou. J'ai toujours été
passionné par le cinéma, et c'était donc extraordinaire
pour moi que les gens du cinéma m'appellent. A la fois pour
adapter mes propres livres et puis aussi pour créer des scénarios
originaux.
J'ai vécu tout ça, je l'ai fait, maintenant je sais
de quoi je parle : je sais que tout ce qui est "scénarios
originaux", je ne le ferai plus. Pour 2 raisons simples. D'abord
parce que ça prend énormément de temps. Quand
vous pouvez écrire un livre, et quand vous avez la chance
comme moi d'en vendre tellement que ça vous rapporte plus
que le cinéma, il n'y a aucune raison de faire un scénario
et de n'être que le maillon d'une grosse machine. Ça
ne sera jamais votre film. Dans ce cas, il vaut mieux réaliser.
Etre un scénariste, c'est être vraiment, excusez-moi
l'expression, "le cul entre deux chaises". Tu es à
moitié l'auteur, mais finalement ça ne sera pas ton
film. C'est comme si un peintre faisait une gigantesque esquisse
sur une fresque murale et que quelqu'un d'autre venait peindre et
colorier. D'abord, tu ne reconnais plus ton esquisse, tu reconnais
rien de ce que tu as voulu faire et puis finalement ça ne
sera pas ton uvre. Donc finalement, quand tu as les moyens
d'écrire toi-même ton roman et qu'en plus il se vend,
il n'y a aucune raison d'écrire des scénarios. Je
suis très clair là-dessus.
Alors, dans ma grande page tournée, je m'étais aussi
dit que je ne voulais même pas m'occuper de l'adaptation de
mes livres. Il s'agit d'un autre problème. Par exemple, à
l'heure actuelle, j'ai commencé mon nouveau livre. Je suis
tout à fait dans une atmosphère religieuse, j'enquête
sur le Vatican. Mais si La Ligne Noire se fait en film et
qu'on m'appelle pour faire le scénario, je vais faire quatre
pas en arrière pour retourner dans l'atmosphère de
mon livre précédent et ça, c'est à devenir
complètement schizophrène. Quand je travaillais parfois
sur le scénario des Cigognes, j'avais fini le livre
6 ans auparavant, et j'étais encore en train de me "farcir"
Louis Antioche... J'en avais marre, j'étais passé
complètement à autre chose. Donc je détestais
ce retour en arrière.
Mais je dois avouer que pour L'Empire des Loups, j'avais
dit que je n'y toucherai pas, et finalement j'y ai travaillé.
Si je vois que l'équipe est sympathique, si c'est pour la
bonne cause, c'est-à-dire pour faire un film le plus cohérent
possible, et que je peux être utile (peut-être que sur
La Ligne Noire, personne ne m'appellera et qu'ils voudront
faire un éventuel film dans leur coin), là oui, je
préfère avoir un pied dedans. Sur La Ligne Noire,
par exemple, j'ai déjà quand même moi-même
des idées d'adaptation que j'aimerais soumettre à
un producteur qui achèterait le livre.
Donc, scénarios originaux : non. Adaptation de mes livres
: peut être qu'on verra
N. - Actuellement, vous êtes
également impliqué dans un autre projet, qui concerne
cette fois le domaine de la bande dessinée (9)
J.-C.
G. - Oui, parce que je connaissais bien les gens qui s'occupaient
de la bande dessinée chez Albin Michel. On s'est donc mis
d'accord pour que j'écrive une trilogie et là,
c'est une vraie trilogie, j'ai écrit les trois histoires
avec un très bon dessinateur qui s'appelle Philippe Adamov
et qui avait fait une série assez connue qui s'appelle Mortelune
(10).
Ce dessinateur avait adoré Le Concile de Pierre, et
avait contacté Albin Michel pour savoir si j'aurais aimé
éventuellement faire une série, presque une adaptation
du Concile de Pierre, en bande dessinée.
Attention ! La fin de la réponse de Jean-Christophe Grangé
dévoile le dénouement du Concile de Pierre.
Il est donc très fortement déconseillé de lire
la fin de sa réponse si vous n'avez pas lu Le Concile
de Pierre.
J'ai alors eu l'idée de lui proposer d'écrire plutôt
l'histoire, que je n'ai pas bien pu raconter dans Le Concile
de Pierre, de la mère, qui est la méchante du
roman. Je dévoile un peu la trame du Concile, mais
c'est une sorcière, une chamane initiée par la tribu
turco-mongole où s'achève l'histoire du livre.
Ce qui était très intéressant, c'était
de raconter, dans les années 68, comment cette jeune femme
qui à l'époque était gentille avait pu devenir
ce qu'elle était devenue, c'est à dire une sorcière
très méchante. Et de raconter aussi par quoi elle
était passée à travers toute cette étude
parapsychologique, d'abord française puis soviétique
et ensuite en Sibérie, et aussi comment elle avait rencontré
ces peuples. C'est une histoire que j'avais en moi, que j'avais
raconté brièvement dans le livre sous forme de flash-backs
rapides (11), mais j'avais toujours l'idée
de bien la raconter en détails.
On la racontera en trois épisodes, trois albums, qui démarrent
en 1968, à la fac de Nanterre où on la découvre,
jeune étudiante très sympa, enrolée un peu
malgré elle par un professeur de psychologie, qui s'intéresse
à la parapsychologie et qui est déjà en cheville
avec des chercheurs soviétiques sur ces domaines-là.
C'est assez angoissant.
Le premier album se déroulera en France, et à la fin,
en Europe de l'est. Le deuxième album, à Moscou, où
elle est exilée de force et puis le troisième album
se passera vraiment en Mongolie, où là elle va rencontrer
le fameux peuple chamane et sera initiée, car elle-même
a des pouvoirs.
C'est très chouette, des dessins superbes, très classiques,
que j'adore. Tout se passe très bien. Je crois que l'album
sortira en septembre. Ça se lira même sans avoir lu
le Concile, il s'agira des aventures de Sybille, qui est
une sorte d'apprentie chamane.
N. - Vous avez découvert la littérature
policière lors de vos reportages et il vous est venu tout
naturellement une passion pour les thrillers. Avez-vous envie d'évoluer,
un jour, vers d'autres genres littéraires comme le fantastique,
qui vous intéresse également ?
J.-C. G. - En enchaînant les romans, je m'aperçois
que c'est quasiment une certitude : je ferai toujours des romans
policiers. Ce que je vais bien sûr essayer, et c'est ce que
j'ai essayé dans La Ligne Noire et dans le suivant,
c'est d'élargir un petit peu le spectre, c'est-à-dire
de parler peut-être plus de psychologie, d'histoires de famille,
d'aborder des univers plus différents. Par exemple, dans
le prochain, il s'agira de la religion, donc plus de spiritualité
de foi. Après, il y aura une sorte de remontée vers
la préhistoire ou quelque chose comme ça.
Mais le nerf de la guerre, pour moi, c'est la trame policière.
Quand on est habitué, comme moi, à écrire des
romans où il y a des meurtres, la mort, alors tout le reste
devient dérisoire
J'essaie maintenant de développer un peu des intrigues amoureuses,
des choses comme ça, mais je ne me vois pas écrire
un livre où il n'y aurait pas de morts. Parce que c'est quand
même la chose essentielle de la vie
Quand vous êtes
habitués à parler de ça, tout vous semblerait
trop léger.
Donc, non, pour moi l'intrigue policière sera toujours le
noyau central : pourquoi des gens ont tué ? Qui a été
tué ? De quelle façon ? Pourquoi ce jaillissement
du mal ? C'est vraiment le cur de ce que je veux écrire,
peut-être en essayant de rayonner, ou peut-être en faisant
des livres de plus en plus gros. Mais je ne me vois pas du tout
écrire juste une saga familiale ou une intrigue amoureuse,
il me manquerait quelque chose : il me manquerait ce degré
important qu'est le meurtre
N. - Merci beaucoup, Jean Christophe Grangé, pour
cette interview !
8.
L'Ecran Fantastique n°213 (septembre 2001), paru à
l'occasion de la sortie de Vidocq, contient, entre autre, une interview
de Jean-Christophe Grangé.
9. Le premier tome de La Malédiction
de Zener (J.-C. Grangé / P. Adamov) sera normalement
publié en septembre 2004 dans la collection Haute-Tension
d'Albin Michel.
10. Les
Eaux de Mortelune (P. Cothias / P. Adamov) est une série
de 10 albums parus aux éditions Glénat. La couverture
du premier tome, L'Echiquier du Rat, sert d'illustration
pour cette partie de l'interview.
11. Sybille
revient sur son passé (les études à Nanterre,
la rencontre avec Philippe Thomas, les expériences de parapsychologie,
le passage à l'Ouest, la naissance difficile de sa fille
Diane, le chamanisme...) dans les chapitres 68 et 69 du Concile
de Pierre.
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